Dette : la crainte d'un krach au carré

Dette : la crainte d'un krach au carré
الثلاثاء 15 إبريل, 2025

Avec sa politique commerciale et budgétaire, Donald Trump risque de saper la confiance dans les obligations publiques américaines, qui constituent la base de la finance internationale.

Par Jean-Marc Vittori. LES ECHOS. 

Vous avez aimé la tempête financière déclenchée par la politique commerciale de Donald Trump? Vous allez adorer l'ouragan de sa politique budgétaire. Un ouragan qui pourrait emporter jusqu'aux fondements de la finance internationale.

En poussant les droits de douane américains à un niveau jamais vu depuis le début du XXe siècle, le président des Etats-Unis a déjà provoqué un événement rare: une chute simultanée du prix des actions, des obligations et de la monnaie.

La baisse des cours boursiers était assez logique. La montée des tarifs douaniers va peser sur la profitabilité des grandes entreprises américaines qui ont en catalogue beaucoup de produits fabriqués ailleurs. Elles en vendront moins, ou devront réduire leurs marges pour amortir la hausse des prix.

Les deux autres baisses, celles des obligations et de la monnaie, sont plus surprenantes. Une hausse des droits de douane dans un pays s'accompagne habituellement d'une appréciation de sa devise, qui amortit l'impact des droits de douane. Le repli du dollar traduit au contraire une inquiétude, voire une défiance, vis-à-vis de l'économie américaine.

La chute de la valeur des obligations, reflétée dans une hausse brutale de leur taux d'intérêt passé de 3,9% à plus de 4,5% en cinq jours, est encore plus inédite. Car la hausse des droits de douane est une hausse d'impôt, qui consolide donc les finances publiques (sauf si cette hausse tue la croissance).

Refinancer 9.000 milliards de dollars de dette
Or les investisseurs ont d'autres raisons de s'inquiéter des finances publiques américaines. La baisse massive de dépenses publiques promise par Elon Musk semble déjà échouer. Et à côté des droits de douane, l'autre grande promesse économique du candidat Trump était une baisse d'impôts. Le 10 avril, les représentants ont voté un projet de budget qui alourdirait le déficit budgétaire de 5.800 milliards de dollars pour les dix ans à venir, selon les calculs du Comité pour un budget fédéral responsable, un think tank bipartisan.

Le passé n'est pas plus rassurant. Le déficit budgétaire a dépassé 7% du PIB l'an dernier alors que l'économie était en pleine croissance. Depuis la crise sanitaire de 2020, la dette publique a augmenté de 13 points de PIB contre 5 pour la zone euro. L'Etat va devoir refinancer cette année 9.000 milliards de dollars de dette.

L'agence de notation Standard & Poor's, dont le métier est d'évaluer la capacité des Etats à rembourser leurs dettes a retiré dès 2011 sa plus haute note, le fameux AAA, jusqu'alors attribuée à la dette publique des Etats-Unis. Depuis, ses rivales ont suivi.

La vérité, c'est que la situation budgétaire des Etats-Unis est fragilisée, et que la politique de Trump risque de la fragiliser encore plus. En outre, les investisseurs étrangers, qui détiennent près du quart de la dette du pays, pourraient s inquie ter des projets mijotés par les conseillers de Trump. L'un d'entre eux, Stephen Miran évoque une taxation des intérêts payés aux banques centrales qui ont de la dette américaine, voire un échange forcé de ces obligations contre d'autres à cent ans... et à taux d'intérêt zéro.

Or la dette publique américaine n'est pas un actif comme les autres. C'est la base de la finance internationale, sa référence ultime. Avec un stock de près de 30.000 milliards, elle est extrêmement liquide - il est possible d'en acheter et d'en vendre d'immenses quantités instantanément. Nombre de financiers évaluent le rendement de tous les actifs en écart par rapport aux treasury bonds.

Autre preuve de ce rôle central: dans le tumulte qui avait suivi la dégradation de la note des T-bonds par l'agence S&P, leur taux d'intérêt avait un temps baissé. Car des investisseurs complètement déboussolés avaient alors acheté ce qu'ils considéraient comme la valeur refuge par excellence, à savoir... les obligations qui venaient d'être dégradées.

Bien sûr, en cas de problème, la banque centrale américaine pourra toujours acheter des obligations du Trésor, comme elle l'a fait après la crise financière de 2008 et lors de l'épidémie de Covid en 2020. Mais elle risquerait alors d'accentuer la défiance vis-à-vis du dollar. Trump n'a bien sûr pas créé toute cette dette. Mais il pourrait bien devenir le formidable accélérateur de la dislocation du système financier mondial en place depuis un siècle.