Le président américain a affirmé, lundi, avoir des « discussions directes » sur le dossier nucléaire avec Téhéran, qui, de son côté, a parlé d’échanges « indirects ». Une annonce faite pendant la visite du premier ministre israélien, farouchement opposé à tout accord avec la République islamique.
Par Piotr Smolar (Washington, correspondant). LE MONDE.
L’annonce lui brûlait les lèvres. « Nous avons des discussions directes avec l’Iran, et elles ont commencé. » C’est la première chose qu’a dite Donald Trump aux journalistes, lundi 7 avril, dans le bureau Ovale. Le président américain venait de saluer son invité, le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, de retour en ces lieux deux mois après sa précédente visite. Selon Donald Trump, ces négociations directes « à un très haut niveau » atteindront une étape importante le 12 avril. Elle devrait avoir lieu dans le sultanat d’Oman, a révélé dans la soirée le ministre iranien des affaires étrangères, Abbas Araghtchi. Mais celui-ci a parlé de « discussions indirectes de haut niveau », en accord avec la ligne fixée par Téhéran, rejetant tout contact bilatéral avec Washington à ce stade. « C’est autant une occasion qu’un test, a déclaré le diplomate. La balle est dans le camp américain. »
Selon Donald Trump, si ces discussions échouent en vue d’un règlement de la question nucléaire, ce serait « un très mauvais jour pour l’Iran », qui se retrouverait « en grand danger ». L’allusion à des frappes militaires est on ne peut plus claire. « Je pense qu’il serait dans le meilleur intérêt de l’Iran qu’elles réussissent », a-t-il ajouté. Les Etats-Unis considèrent que l’Iran se trouve dans un moment de faiblesse historique, en raison des coups portés au Hezbollah libanais, et plus récemment de la campagne de frappes américaines contre les houthistes, au Yémen. Une campagne opaque, dont le Pentagone n’a livré aucun détail, en matière de cibles atteintes.
En confirmant de façon ostentatoire ce dialogue avec l’Iran, déjà lancé depuis des semaines, Donald Trump met la pression sur Téhéran. Le retrait unilatéral des Etats-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien (Joint Comprehensive Plan of Action, JCPoA) en 2018, décidé lors de son premier mandat, a eu pour effet de dégrader la crédibilité américaine. Au fil des ans, l’Iran a ainsi multiplié les dérapages, se soustrayant aux dispositifs de vérification sous l’égide de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Sa défiance envers les Etats-Unis est considérable.
Interrogé lundi sur la possibilité d’obtenir un nouvel accord contraignant, de type JCPoA, Donald Trump s’est contenté d’une remarque floue : « Je pense que ce sera différent, et peut-être beaucoup plus solide. » Il n’a jamais mentionné les autres signataires du JCPoA, notamment les trois pays européens (Allemagne, Royaume-Uni, France), qui ont eu plusieurs contacts en Suisse avec les Iraniens. Donald Trump a demandé à Vladimir Poutine de peser auprès de Téhéran en faveur de ces échanges avec Washington. Mais le président américain manque de patience. Il aspire à obtenir un résultat rapide, alors que le nucléaire iranien est l’un des dossiers les plus techniques, les plus ardus qui soient, surtout si on se met en tête d’y lier la question du programme balistique développé par Téhéran. Soit un enjeu de sécurité fondamental au Moyen-Orient, qui est aussi un sujet de souveraineté pour le régime.
MOMENT PÉNIBLE, VOIRE HUMILIANT
Pour Benyamin Nétanyahou, entendre Donald Trump annoncer ces discussions avec l’Iran en étant assis à ses côtés représentait un moment pénible, voire humiliant. Le dirigeant israélien s’est toujours opposé à toute résolution diplomatique de type JCPoA, allant jusqu’à dénoncer cette entreprise devant le Congrès, sous l’administration Obama. Mais M. Nétanyahou a caché ses réserves, lundi, appliquant le manuel inverse de celui du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, en ce même lieu. Il a multiplié les hommages à son hôte, cédé unilatéralement sur les droits de douane, abondé dans le sens de M. Trump, même lorsqu’il pensait le contraire. Ce fut évident sur l’Iran. « Les Etats-Unis et nous sommes unis dans un but, que l’Iran n’ait jamais l’arme nucléaire, assure-t-il. Si cela peut être pleinement atteint par la voie diplomatique, de la façon dont cela fut fait en Libye, je pense que cela serait une bonne chose. »
En 2003, le colonel Kadhafi avait accepté de renoncer complètement au programme de développement d’armes de destruction massive, au terme de négociations avec les États-Unis et le Royaume-Uni. Mais les calculs de son pays étaient très différents de ceux de Téhéran aujourd’hui, dans un monde fragmenté entre puissances rivales. L’enrichissement de l’uranium, pour le régime, est un signe de puissance. « Nétanyahou sait que l’Iran n’accepterait jamais le démantèlement de son programme nucléaire, souligne l’analyste Ali Vaez, de l’organisation de prévention des conflits International Crisis Group. En proposant un objectif maximaliste pour les négociations, il espère qu’il n’y en aura pas. Mais Trump sait que de telles demandes ont conduit à l’échec des discussions [sur le nucléaire] avec la République nord-coréenne, il est donc peu vraisemblable qu’il suive le conseil de Bibi [Benyamin Nétanyahou]. »
Organisée à la hâte, cette visite du dirigeant israélien répondait à plusieurs objectifs. Le premier est commercial, dans le cadre de la tempête mondiale déclenchée par les droits de douane réciproques américains, annoncés le 2 avril. Le gouvernement israélien pensait avoir habilement anticipé cette échéance, en annonçant la levée de toutes les taxes sur les produits américains. Benyamin Nétanyahou a confirmé que son pays éliminerait les barrières commerciales. « Israël peut servir de modèle pour de nombreux pays qui devraient faire la même chose », estime le dirigeant, se présentant comme « un champion du libre-échange ». Il n’a pas été récompensé en retour, avec une barre de 17 % déterminée par la Maison Blanche, selon un mode de calcul ne répondant à aucune équation rationnelle. « N’oubliez pas, on aide beaucoup Israël, a noté Donald Trump, se refusant à s’engager sur la question. Vous savez, on donne 4 milliards de dollars [3,6 milliards d’euros] par an à Israël. C’est beaucoup. »
« IL FAUT ÊTRE RAISONNABLE »
Benyamin Nétanyahou a assuré qu’il voulait parvenir à un nouvel accord dans la bande de Gaza, en vue de libérer les otages restant aux mains du Hamas. Il a aussi rendu hommage à la vision à long terme du président américain pour le territoire palestinien. Une nouvelle fois, Donald Trump a qualifié Gaza de « bien immobilier important », estimant que ce serait « une bonne chose » si les Etats-Unis « contrôlaient et possédaient » l’enclave palestinienne. A plusieurs reprises, le président américain a répété qu’il ne comprenait pas pourquoi Israël avait renoncé à Gaza, en référence au retrait des colons, en 2005 : « Ils ont pris des propriétés de front de mer et ils les ont données à des gens en échange de la paix. Et ça a donné quoi ? Rien de bon. »
Donald Trump ne s’est pas étendu sur sa proposition de pousser les Palestiniens au départ, vers des pays d’accueil. Benyamin Nétanyahou a, en revanche, justifié l’initiative : « Qu’y a-t-il de mal à donner un choix aux gens ? », a-t-il fait mine de s’interroger. Malgré le blocus imposé depuis 2007 à l’enclave palestinienne par l’Etat hébreu, avec l’appui de l’Egypte, il a soutenu que les Gazaouis n’avaient jamais été « enfermés ».
En revanche, le premier ministre israélien a mentionné comme un irritant la situation actuelle en Syrie, où la chute du régime Assad a entraîné une vaste redistribution des cartes. « Nous avons des relations de voisinage avec la Turquie, qui se sont détériorées, a-t-il expliqué. Nous ne voulons pas voir la Syrie utilisée comme une base par quiconque, y compris la Turquie, pour attaquer Israël. » Premier soutien du nouveau dirigeant syrien Ahmed Al-Charaa, Ankara observe avec irritation l’intensification des bombardements israéliens contre ce qui reste d’infrastructures militaires dans le pays. La Turquie veut encourager la formation d’une nouvelle armée syrienne, la présentant à Washington comme le moyen le plus efficace de combattre les groupuscules islamistes.
Lundi, Donald Trump s’est proposé comme médiateur entre Israël et la Turquie. Le président américain a souligné une nouvelle fois sa bonne relation personnelle avec Recep Tayyip Erdogan. Il a aussi rapporté ses propos à l’attention du président turc : « Félicitations. Vous avez réussi à faire ce que personne n’avait réussi en deux mille ans. Vous avez pris le contrôle de la Syrie, sous différents noms, mais c’est la même chose. Je lui ai dit, vous l’avez prise. Il l’a prise par l’intermédiaire de représentants. » Donald Trump s’est alors adressé à Benyamin Nétanyahou, crispé. « Quel que soit votre problème avec la Turquie, je pense que je peux le résoudre. Je veux dire, à condition que vous soyez raisonnable. Il faut être raisonnable. » Le président américain faisait ainsi la leçon à son allié. Une habitude.