ENTRETIEN - Le ministre des Affaires étrangères israélien était en visite jeudi à Paris, où il a rencontré Jean-Noël Barrot.
Par Isabelle Lasserre, LE FIGARO.
Au moment où Donald Trump évoque de nouvelles négociations avec l’Iran, Gideon Saar a répondu aux questions du Figaro.
Le Figaro. -Si l’accord de 2015 a échoué, comment un nouveau «deal» pourrait-il réussir, alors que, depuis, le programme nucléaire iranien a quasiment atteint son but?
GIDEON SAAR.-Les conditions sont différentes. À la Maison-Blanche, nous avons un président plus dur. L’Iran a aussi un nouveau chef d’État. Et les Européens ont ouvert les yeux. Avec la guerre en Ukraine, qui a mis en lumière l’aide fournie à la Russie par Téhéran. Mais aussi parce qu’ils ont vu les attaques directes menées par l’Iran contre nous en avril et en octobre 2024 et compris ce dont ont été capables ses affidés, le Hamas et le Hezbollah, à partir du 7 Octobre. Nous n’avons plus besoin d’expliquer la nature de l’agression iranienne. Aujourd’hui tout le monde se pose la même question : s’ils ont fait ça sans nucléaire, que feront-ils le jour où ils auront un parapluie nucléaire? Pour toutes ces raisons, j’attends davantage de détermination de la part de la communauté internationale. Ce qui ne m’empêche pas de rester sceptique sur les chances d’obtenir un accord, car les écarts entre la vision américaine et la vision iranienne restent très importants.
En cas d’échec de la diplomatie, les États-Unis se joindraient-ils à une opération militaireisraélienne pour détruire les installations nucléaires iraniennes?
Je ne spéculerai pas sur ce sujet. Mais je rappelle notre objectif : l’Iran ne doit pas devenir un État nucléaire. Nous sommes à une minute de l’Histoire où grâce au consensus de la communauté internationale, nous avons une réelle opportunité de le réaliser. Comment? Nous verrons. Mais notre détermination est partagée par les Américains et par la France.
Quelle est votre stratégie à Gaza ? Pourquoi la guerre a-t-elle repris?
Nous avons deux objectifs : obtenir la libération des otages et éradiquer toute menace future contre Israël et ses citoyens. Si les militants du Hamas se retirent de Gaza et rendent leurs armes, la guerre s’arrêtera demain. Pour l’instant, ils ont au contraire prouvé qu’ils ne voulaient pas de la paix. Ce qui est certain, c’est que les Israéliens n’abandonneront pas leurs otages et qu’il n’y aura pas de retour à la réalité d’avant le 7 Octobre, c’est-à-dire une menace militaire permanente de Gaza vis-à-vis d’Israël. Le Hamas utilise la carte des otages pour forcer Israël à se rendre et pour dicter ses conditions de la fin de la guerre. Il n’en est pas question. Le prix que nous avons payé est déjà énorme. Leur objectif, nos renseignements le savent, est toujours d’envahir Israël. Nous ne pouvons prendre aucun risque.
Comment voyez-vous le jour d’après? Certains Palestiniens, comme Mohammed Dahlan ou Marwan Barghouti, pourraient-ils être compatibles avec votre objectif?
Barghouti est un terroriste,il à tué des Israéliens, il est en prison. Mais le plus important, voyez-vous, ce n’est pas «qui», mais «quoi»? Comment faire pour éradiquer l’idéologie extrême des Palestiniens, omniprésente, y compris dans les écoles, même les écoles maternelles où elle corrompt les nouvelles générations, et dans les mosquées. Il faut une grosse opération de déradicalisation et celle-ci ne peut avoir lieu qu’après la défaite. Nous avons besoin d’un voisinage qui ait une approche différente vis-à-vis d’Israël et des Juifs. Ce n’est pas encore le cas : contrairement aux Émirats arabes unis qui ont changé, les Palestiniens veulent toujours l’élimination de l’État juif.
Le plan de Donald Trump pour Gaza est-il mort?
Non il n’est pas mort. Il est sujet à deux conditions. La première, c’est de pouvoir laisser émigrer les Gazaouis qui le veulent, car il ne s’agit aucunement d’un déplacement forcé. Ils sont nombreux à vouloir partir. La deuxième, c’est de trouver des États qui sont prêts à accepter ces volontaires. Je ne comprends pas pourquoi le droit à l’émigration serait accordé aux Syriens et aux Afghans mais serait refusé aux Palestiniens! Ou plutôt je ne le comprends que trop bien : les Palestiniens sont un outil politique utilisé contre Israël. On veut absolument les garder dans des camps de réfugiés.
Où en sont les projets de rapprochement entre Israël et l’Arabie saoudite au sein des accords d’Abraham?
Nous appelons ce rapprochement de nos vœux. Mais nous savons que cet objectif est plus difficile à réaliser tant qu’il y a la guerre. Ce sera sans doute possible sous le mandat de Trump, mais un peu plus tard.
Allez-vous annexer la Cisjordanie?
Pour nous, ce sont des territoires disputés, pas occupés. Nous avons souvent été prêts à négocier. Mais ce n’est pas possible avec l’actuelle Autorité palestinienne. Nous ne voulons pas les diriger. Mais un État palestinien indépendant aujourd’hui en Judée Samarie, ce n’est pas possible, car il serait dirigé par le Hamas et mettrait en danger la sécurité d’Israël.
Le nouveau leader syrien Al-Charaa est-il mieux ou moins bien pour Israël que ne l’était Bachar el-Assad?
Cela ne peut pas être pire, car el-Assad était directement connecté à l’axe iranien. Il participait à la création d’une continuité territoriale entre les alliés de l’Iran. Nous nous sommes donc réjouis de sa chute. Mais il faut être réaliste vis-à-vis du nouveau régime de Damas. Il n’a pas été élu démocratiquement. Il y a environ 10000 djihadistes en Syrie, dont beaucoup ont été libérés de prison par le nouveau pouvoir, et ils veulent, nous le savons, en découdre au Golan. Toutes nos actions en Syrie visent à renforcer notre sécurité et empêcher à tout prix l’ouverture d’un autre front contre Israël.
Que faites-vous pour lutte rcontre l’influence de la Turquie en Syrie? Les Turcs exercent une forte influence en Syrie. Ils veulent sans doute y instaurer un protectorat. Nous nous inquiétons de leur volonté de s’établir militairement dans le pays, comme de leur élan à vouloir s’en prendre à la coalition kurde dans le nord du pays. Erdogan a récemment multiplié les déclarations hostiles vis-à-vis d’Israël, dont il souhaite l’élimination. L’ayatollah Khamenei a fait le même type de déclaration en Iran. C’est curieux. Si ces phrases étaient prononcées contre un autre pays, il y aurait un tollé international. Mais là, rien,comme si cela était naturel.
Vous sentez-vous mal compris par les Européens?
C’est-à-dire qu’il y a un énorme écart entre les résultats que nous obtenons et l’attitude des gouvernements européens envers nous. Tout le monde se félicite que le Hezbollah et le Hamas aient été défaits, que Nasrallah ait été tué, que Bachar elAssad ait été destitué. C’est nous qui avons créé toutes ces opportunités mais les critiques pleuvent sur les méthodes qui ont permis d’arriver à ces résultats. Tout le monde dit bravo d’avoir démantelé le Hamas! Mais comment croyez-vous que nous avons fait? Avec des déclarations? Vous croyez que ça les impressionne?
Beaucoup accusent le gouvernement israélien de glisser vers une forme d’autoritarisme…
Israël est une société démocratique. Le gouvernement ne s’attaque pas aux opposants, contrairement à ce qu’il se passe en ce moment en Turquie! Pourtant je ne vois aucune critique s’élever contre les dérives d’Erdogan, qui est un allié de l’Otan…
Les relations entre Israël et la France ont connu des hauts et des bas depuis le 7 Octobre. Où en sont-elles aujourd’hui ?
Malgré des divergences d’opinions parfois réelles, le dialogue reste très important. Car nous tenons à ce que les positions soient liées à la réalité sur le terrain. Or, promouvoir aujourd’hui la solution à deux États, ce n’est pas réaliste. Car si demain un État palestinien est créé, ce sera un État du Hamas. Nous avons tous des rêves, des espoirs, des volontés. Mais nous devons être réalistes avec les sujets qui ont des conséquences sur la sécurité de toute la région. Le camp radical doit être défait pour que puisse exister un futur meilleur. C’est là-dessus qu’il faut se concentrer.