La chrétienne, opposante au régime d’Al-Assad, n’était pas revenue en Syrie pendant les quatorze années de guerre civile. Lorsque le poste de ministre lui a été proposé, elle n’a pas hésité une seconde.
Propos recueillis par Hélène Sallon (Damas, envoyée spéciale). LE MONDE.
Hélène Sallon
Sur la photo de famille du nouveau gouvernement de transition syrien, Hind Kabawat accroche les regards dans son tailleur blanc. Nommée aux affaires sociales et au travail, samedi 29 mars, cette chrétienne laïque de 51 ans est la seule femme parmi 22 hommes. Ce constat contrarie la militante des droits des femmes, déterminée à mener le combat pour une meilleure représentativité des Syriennes au sein des nouvelles autorités.
« J’ai tenté de convaincre qu’il fallait plus de femmes ministres, mais c’était compliqué, avec l’impératif d’assurer la diversité ethnique et religieuse au sein du gouvernement. Il n’y a néanmoins aucune excuse à ce qu’il n’y ait qu’une seule femme ministre. On m’a promis que davantage de femmes seraient nommées à de hautes fonctions », assure Hind Kabawat, installée à l’ombre des glycines, dans le patio de sa maison traditionnelle de la vieille ville de Damas.
Lors de la présentation du gouvernement, au Palais du peuple, samedi, devant le président de transition, Ahmed Al-Charaa, cette spécialiste du dialogue interreligieux et de la résolution des conflits, au caractère bien trempé, s’est efforcée de faire taire les mauvaises langues qui lui reprochent de jouer la « caution diversité » au sein du gouvernement. « Mon ministère est l’un des plus importants dans la période post-conflit, au vu du nombre d’orphelins, de déplacés et de personnes vulnérables que compte le pays », souligne la Syro-Canadienne, mère de deux enfants.
Opposante au président Bachar Al-Assad, elle n'était pas revenue en Syrie pendant les quatorze années de guerre civile. Lorsque le poste de ministre lui a été proposé, quatre jours avant l'officialisation du cabinet, elle n'a pas hésité une seconde. «J'y ai retrouvé des gens pour lesquels j'éprouve un profond respect, choisis pour leurs mérites. Il y a aussi de nombreux jeunes qui nous apportent l'énergie, et à qui nous apportons la sagesse. Nous pouvons faire beaucoup en coopérant», pense Hind Kabawat.
A ceux qui disent leur crainte de voir le président Ahmed Al-Charaa, un ancien djihadiste qui a rompu avec Al-Qaida en 2017. imposer une idéologie islamiste à la Syrie ou régner sans partage, Hind Kabawat appelle à donner de la voix. On veut une démocratie inclusive en Syrie. Plus ceux qui mettent en doute et questionnent les choix des dirigeants, les miens compris, seront nombreux, plus la chance de construire une société convenable sera grande. C'est là que le travail de la société civile est important, expose-t-elle.
Effarée par les massacres commis contre les alaouites et par la mort de membres de la sûreté générale dans les attaques menées par des partisans de l'ancien régime, début mars, Hind Kabawat se dit rassurée par les décisions prises par Ahmed Al-Charaa. «Il a présenté ses condoléances aux familles des victimes, dont notre collègue, la militante Hanadi Zahlout. Il a établi un comité d'enquête et punira tous les responsables. Cela, nous ne l'avions jamais observé du temps de l'ancien régime, qui tuait sa population avec des armes chimiques. La leçon à en tirer est qu'il faut mettre en place, sans attendre, un processus de justice transitionnelle», dit-elle.
Hind Kabawat n'avait jamais rencontré Ahmed Al-Charaa avant de se voir proposer, en février, d'être l'un des sept membres du comité préparatoire pour la conférence de dialogue national. «Il a une vision pour la Syrie, et il sait qu'il ne peut pas gouverner seul. Il aime le travail en équipe. Il est très ouvert aux nouvelles idées, mais n'oubliez pas qu'il doit faire le consensus entre différentes tendances au sein de la société syrienne», dit-elle de lui.
Aux côtés d'Al-Charaa dès 2017
Par le biais du centre Tastakel pour les femmes syriennes, qu'elle a cofondé pour promouvoir la paix et la réconciliation durant la guerre, elle a été en contact avec le gouvernement de salut qu'Ahmed Al-Charaa avait mis en place, à Idlib, dès 2017. Elle a formé dans cette province, comme dans le reste du pays, des milliers de femmes et d'enfants syriens au travers de programmes d'éducation et de soutien psychologique, ainsi que d'ateliers sur la résolution des conflits, la gouvernance, le droit humanitaire et la citoyenneté.
«Certains de mes étudiants sont devenus employés gouvernementaux, journalistes... Certains sont aujourd'hui mes collègues!», se félicite Hind Kabawat. Dans les discours d'Ahmed Al-Charaa, elle retrouve des concepts qu'elle leur enseignait, comme celui de «dirigeant serviteur». Intégrer le comité préparatoire pour la conférence de dialogue national lui a paru une évidence. « J'ai fait cela toute ma vie au sein des organisations internationales pour d'au-tres pays. Il allait de soi que j'accepte de le faire dans mon pays!», s'exclame-t-elle.
Multidiplômée, en économie, en droit et en résolution de conflits, Hind Kabawat a aussi obtenu une maîtrise en droit et di-plomatie à la Fletcher School of Law and Diplomacy de l'université Tufts, aux Etats-Unis. Elle a été directrice de la consolidation de la paix interconfessionnelle au centre pour les religions du monde, la diplomatie et la résolution des conflits de l'université George Mason, aux Etats-Unis. Consultante auprès de la Banque mondiale, elle a également participé aux pourparlers de paix sur la Syrie de Genève, en 2017.
Au sein du comité préparatoire pour la conférence de dialogue national, dominé par cinq proches d'Ahmed Al-Charaa, Hind Kabawat a retrouvé une autre militante de la société civile, Houdar Al-Atassi. «Certains ont dit que nous avions été placées là pour jouer les cautions féminines. C'était méconnaître les femmes syriennes, qui sont très fortes et ne se laissent pas faire», rit-elle. Elle aurait aimé que le dialogue national se poursuive pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, au lieu des deux petites journées qui lui ont été consacrées en février.
Pour une levée des sanctions
«On a fait tout ce qui nous était possible pour faire valoir nos Idées. On a amené nos propres médiateurs et nos procédures, ainsi que de la diversité, avec des membres de la société civile, des différentes religions, de la jeunesse», dit-elle. Les deux militantes ont obtenu l'adoption d'un quota d'un tiers de femmes dans la sélection des 1200 participants au dialogue national. Leurs confrères se sont montrés à l'écoute. «J'ai une longue expérience au sein de l'opposition syrienne, et je peux vous dire qu'ils sont bien plus flexibles et à l'écoute que l'ex-opposition au régime Al-Assad. Beaucoup de jeunes gens parmi eux savent qu'il est indispensable de coopérer avec nous, pour le bien de la Syrie», dit-elle.
Le gouvernement désormais formé, Hind Kabawat estime qu'il n'y a plus de temps à perdre. Elle entend mettre à profit son expérience et son réseau, ainsi que l'expertise des Syriens de l'intérieur et de l'extérieur du pays, pour élaborer un plan d'action. «Il y a des choses que l'on peut faire tout de suite, même si les caisses de l'Etat sont vides, comme promouvoir la justice sociale, trouver des emplois pour les femmes... En parallèle, nous allons pousser pour convaincre la communauté internationale de lever les sanctions. Si cette dernière veut aider les femmes et les enfants de ce pays, qui paient le prix des sanctions, elle doit les lever», plaide la ministre des affaires sociales et du travail.
Le soutien de la communauté internationale sera indispensable pour relever un pays en ruine, mais il est important, à ses yeux, que les Syriens aient leur destin en main. « En cinquante-quatre ans de dictature, les Al-Assad ont cultivé l'individualisme, dressant les gens les uns contre les autres. Il est temps de reconstruire notre communauté et de travailler dans une culture de coordination, appelle Hind Kabawat. Nous n'avons pas droit à l'échec.»