Par Isabelle Lasserre. LE FIGARO.
ANALYSE - Partisan de la «pression maximale» pour obtenir un démantèlement du programme nucléaire de Téhéran, le président américain mise désormais sur les négociations et un compromis avec Téhéran.
En politique internationale, le « roi du deal » n’en a pour l’instant réalisé aucun depuis son retour à la Maison-Blanche. Le règlement de la guerre en Ukraine, qu’il avait promis en 24 heures, puis en cent jours, a été stoppé - provisoirement, en tout cas - par l’intransigeance de Vladimir Poutine, qui n’a, contrairement à Volodymyr Zelensky, ni accepté le cessez-le-feu ni revu ses ambitions à la baisse.
Pire : enhardie par les concessions qui lui ont été faites par Donald Trump avant même l’ouverture des pourparlers, la Russie a redoublé de violence contre les populations civiles ukrainiennes. Le cessez-le-feu à Gaza, obtenu comme par un effet de pensée magique au moment où Trump prenait ses fonctions, a volé en éclats avec la reprise des bombardements israéliens et l’arrêt de la libération des otages.
Donald Trump aura-t-il plus de succès avecles négociations sur le nucléaire iranien? C’est l’un des dossiers brûlants de l’actualité internationale. L’accord moribond de 2015, le JCPOA, expiré officiellement en octobre, ouvrant la possibilité d’enclencher le «snapback», c’est-à-dire le rétablissement des sanctions pour non-respect par l’Iran de ses obligations.
Ce n’est pas le moindre des paradoxes: en 2018, Donald Trumps’était retiré unilatéralement du JCPOA, «le pire accord jamais négocié», en l’occurrence par Barack Obama. Depuis, l’Iran a accéléré la marche de son programme nucléaire. Jusqu’à devenir un État du seuil, capable, selon les experts, de fabriquer une bombe en quinze jours et de la miniaturiser, puis de l’installer sur un vecteur en un an. Or, aujourd’hui, le président américain, aussi pressé sur ce dossier qu’il l’était sur la paix en Ukraine, serait prêt à accepter une version possiblement dégradée de l’accord qu’il a déchiré il y a sept ans.
Les exigences américaines, en tout cas, semblent avoir fondu comme neige au soleil. Il y a quelques semaines, Donald Trump, convaincu que seule pouvait marcher la «pression maximale», exigeait un «démantèlement total» du programmenucléaire iranien, faute de quoi il aurait «recours à la force». Depuis, pour la première fois depuis dix ans, des négociations directes «positives» ont eu lieu la semaine dernière à Oman, entre l’émissaire américain Steve Witkoff et le ministre iranien des Affaires étrangères, Abbas Araghtchi. Elles reprendront samedi en Italie. Et, a priori, il n’y sera plus question de démantèlement du programme nucléaire iranien. La partie américaine serait prête à autoriser le régime à enrichir à des taux civils, ceux du JCPOA, 3,67%. Elle ne fait pour l’instant aucune mention– alors que c’était un prérequis pour Trump1 – du rôle déstabilisateur de l’Iran et de ses affidés au Moyen-Orient.
S’il veut obtenir un «deal» rapidement, Donald Trump se voit contraint de faire des concessions. Certes, l’Iran est affaibli par la guerre d’Israël contre ses relais régionaux, le Hamas et le Hezbollah, par la chute de Bachar el-Assad en Syrie et par la destruction de sa défense aérienne, réponse de Tsahal à ses attaques directes contre l’État hébreu. Mais, depuis 2018, le programme nucléaire iranien s’est entièrement déployé. En échange de son soutien militaire à la Russie, Téhéran aurait aussi reçu des technologies lui permettant de vectoriser plus rapidement l’arme nucléaire. «Il est trop tard pour arrêter l’Iran. On ne peut ni annuler son savoir nucléaire désormais abouti ni convaincre le régime de renoncer à ce qui est devenu son bien le plus précieux», commente un diplomate.
L’option libyenne, qui a la faveur de certains responsables israéliens– renonciation à l’enrichissement et aux stocks d’uranium enrichi, destruction des installations nucléaires–, n’est même pas examinée à Téhéran, où l’on se souvient du sort réservé par la suite à Mouammar Kadhafi, tué en 2011 après l’intervention militaire de la France et de la Grande Bretagne, soutenues par les États-Unis. L’Irak de Saddam Hussein à subi le même destin après avoir accepté de renoncer à l’arme nucléaire. Sans parler de l’Ukraine, qui n’aurait jamais été attaquée si elle avait gardé ses têtes nucléaires après la chute de l’Union soviétique. Les gardiens de la révolution iraniens l’ont rappelé : les capacités militaires et de défense du pays sont des «lignes rouges» intouchables. «Les idées mises sur la table aujourd’hui l’ont déjà été dans les négociations précédentes. Il n’y aura pas de démantèlement par la négociation», prévient le spécialiste Clément Therme, chargé de cours à l’université Paul-Valéry de Montpellier.
L’Iran a cependant des avantages à accepter aujourd’hui quelques concessions. Le régime joue avec le temps, surtout face à l’homme pressé qu’est Donald Trump. Faire miroiter une diminution du taux d’enrichissement peut lui permettre d’éviter le retour des sanctions européennes ainsi qu’une intervention militaire américano-israélienne. «Le leader suprême Ali Khamenei peut estimer que s’engager dans des négociations nucléaires avec les États-Unis est la meilleure option pour conserver la stabilité du régime, faire progresser l’économie iranienne et éviter une frappe contre les installations nucléaires», explique l’Institute for the Study of War (ISW).La partie est d’autant plus facile à jouer que les négociateurs iraniens, entraînés depuis 2003, ont en face d’eux un homologue américain, l’ancien promoteur immobilier Steve Witkoff, ignorant du dossier et de ses complexités.
Pour autant, si un accord, même provisoire, naît des pourparlers, il ne sera pas forcément une réplique du JCPOA. «Si les deux parties acceptent de négocier, c’est surtout pour éviter la guerre», résume Clément Therme. Le stock d’uranium enrichi à plus de 60% dont dispose l’Iran aujourd’hui est beaucoup plus important qu’en 2015. «Et, contrairement à 2015, poursuit le spécialiste, l’Iran n’a cette fois pas de grande perspective économique à la clé», poursuit-il. Autre différence : alors qu’en 2015 les Européens, notamment les Français, étaient aussi à la manœuvre, ils ont cette fois été remplacés parles partenaires arabes des Américains. La Russie, à laquelle Trump a demandé son aide sur le dossier, est également de la partie. D’ailleurs, le chef de la diplomatie iranienne doit se rendre ce jeudi à Moscou, avant la reprise des négociations. «Donald Trump, ajoute Clément Therme, a besoin de Moscou, qui n’est pas favorable à un Iran nucléaire, pour régler la question à moindres frais.» Sur le bureau de Donald Trump, l’Iran et l’Ukraine, vis-à-vis de la Russie, sont désormais liés.
Encore faudra-t-il convaincre Israël, qui juge la question nucléaire iranienne comme existentielle. Pour Benyamin Netanyahou, il ne saurait y avoir de «deal» avec Téhéran s’il ne prévoit pas la destruction des sites nucléaires, sous surveillance des États-Unis. Seule alternative? L’option militaire. Mais il n’est pas certain que les Israéliens en aient les moyens sans l’aide américaine…
Reste un troisième scénario, guère plus optimiste, celui de la Corée du Nord. En 2019, Donald Trump avait tenté de passer un «deal» avec le président dictateur Kim Jong-un– «little rocket e man» – pour dénucléariser le nord de la péninsule. Le compromis avait échoué et le président américain s’était désinvesti du dossier. Depuis, la Corée du Nord s’est renforcée. Elle est devenue un solide allié de la Russie, à qui elle fournit armes et troupes dans sa guerre contre l’Ukraine…
Mais, on le sait aussi : Donald Trump est capable de brusques changements de cap! Et il est arrivé, avec les accords d’Abraham, par exemple, que son ambition soit couronnée de succès.