Alain Barluet Correspondant à Moscou, Le Figaro
Le baril de brent est passé sous la barre des 60 dollars. La présidente de la Banque centrale russe, Elvira Nabioullina, s’alarme des «risques» pour l’économie nationale, très dépendante de l’or noir.
Moscou tire la sonnette d’alarme à propos de la guerre commerciale lancée par Donald Trump et des conséquences que celle-ci pourrait avoir sur les revenus pétroliers, cruciaux pour l’économie russe. Le principal signal d’inquiétude est venu de l’une des voix les plus respectées du pays, celle de la présidente de la Banque centrale de Russie (BCR), Elvira Nabioullina. «Les risques existent», a-telle lancé mardi lors d’une réunion avec des députés, en évoquant le spectre d’une «baisse du commerce mondial, de l’économie mondiale et, potentiellement, de la demande pour nos ressources énergétiques». La veille, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, s’était lui aussi inquiété d’une situation de l’économie mondiale jugée «très très tendue » et que les autorités russes suivent «de très près», avait-il affirmé.
Une préoccupation évidente puisque près d’un tiers du budget fédéral russe est censé provenir de la vente d’hydrocarbures, principalement du pétrole. Une manne financière de première importance pour permettre à Moscou de poursuivre l’offensive éminemment coûteuse que son armée mène en Ukraine depuis trois ans. «Plus les prix du pétrole seront bas, moins les Russes auront d’argent pour financer leur guerre», écrivait lundi Andriy Iermak, le chef de l’administration présidentielle ukrainienne, sur les réseaux sociaux.
Mercredi, sous l’effet la guerre commerciale orchestrée par Trump, les cours de pétrole se sont effondrés de 6%, le brent se négociant sous la barre des 59 dollars le baril (52,60 dollars pour le baril d’urals, le brut russe), soit le niveau le plus bas depuis février 2021. Le budget fédéral était jusqu’à présent calculé sur la base d’un prix moyen de 70 dollars le baril, mais le ministère des Finances a revu à l'abaisse ses prévisions et admis que le prix moyen pour l’année ne serait probablement que de 60 dollars. Selon un tel scénario, le déficit budgétaire devrait augmenter, très relativement tout de même- pour atteindre 1% du PIB. Sur le premier trimestre, le déficit s’est élevé à 2170 milliards de roubles (environ 23 milliards d’euros), soit effectivement 1% du PIB, presque le double du chiffre prévu (1173 milliards de roubles, soit 12 milliards d’euros). La pression est d’autant plus forte que, parallèlement, la monnaie russe s’est considérablement dépréciée, passant d’environ 100 roubles pour 1 dollar, début février, à 85 roubles, ce qui grève les revenus de la Russie en pétrodollars.
«La situation est problématique mais elle n’est pas encore dramatique», relativise Konstantin Simonov, le directeur du Fonds national de sécurité énergétique (NESF) à Moscou. Selon cet expert des questions énergétiques, qui voit le prix du pétrole se stabiliser à terme autour de 65 dollars le baril de brent, le choc actuel est moins considérable que celui observé en Russie début 2023, après l’embargo pétrolier européen imposé le 5 décembre 2022. Par ailleurs, fait observer Konstantin Simonov, Moscou dispose d’un fonds de réserve de 3200 milliards de roubles de liquidités (environ 37 milliards de dollars), abondé par les gains pétroliers antérieurs.
La Russie, un des rares pays à être épargné par la salve de taxes douanières imposées par Donald Trump, pourrait même tirer parti de la situation, se plaisent à croire Konstantin Simonov et d’autres analystes russes. Cela concerne certains secteurs où la Russie garderait un avantage compétitif (agriculture, carburant, énergie). «Le Venezuela et l’Iran sont concernés par les sanctions. Enconséquence, le pétrole russe redevient plus attractif», souligne-t-il, ajoutant que «la Turquie a cessé de prendre du pétrole iranien et revient au pétrole russe». «À cet égard, nous avons des opportunités à saisir», se félicite ainsi le directeur du NESF.
Toutefois, dans un contexte global de ralentissement de l’économie mondiale, la Russie ne saurait être préservée de l’électrochoc douanier infligé par Washington. «Les droits de douane américains nuisent à l’Union européenne et la demande européenne de produits finis en provenance de Chine et d’Inde diminuera», analyse Sergueï Afontsev, spécialiste en économie internationale à l’Académie des sciences russes. «Cela signifie que les recettes d’exportation de la Chine et de l’Inde diminueront, et donc que leur demande d’énergie russe diminuera aussi», conclut-il. Sans compter que, comme l’estiment certains observateurs à Moscou, la Russie pourrait fort bien être elle aussi visée ultérieurement par des sanctions américaines, si Donald Trump jugeait que Moscou continue de faire obstacle aux négociations de paix en Ukraine.