Silencieux malgré les violations quotidiennes du cessez-le-feu par Israël et une nouvelle frappe sur la banlieue sud de Beyrouth, le Hezbollah compte bien montrer qu’il est loin d’être àterre, en dépit des multiples appels à son désarmement.
Jenny Lafond, Beyrouth (Liban)
La Croix
«Nous ne permettrons à personne de désarmer la résistance, et nous couperons la main de ceux qui (…) veulent désarmer le Hezbollah»,a averti le chef du Hezbollah, Naïm Qassem, le 18 avril. Depuis l’entrée en vigueur du cessez-le-feu entre Israël et le mouvement chiite, le 27novembre dernier, son arsenal polarise les débats au Liban. Priorité pour Washington, qui considère le Hezbollah comme un «cancer à éradiquer», selon des propos de l’émissaire américaine adjointe pour la paix au Moyen-Orient, Morgan Ortagus, son désarmement est réclamé sur la scène libanaise par ses farouches opposants.
Ces derniers, qui estiment que le maintien des armes du Hezbollah offre un «prétexte» aux Israéliens pour continuer à frapper le Liban, exigent l’imposition d’un calendrier strict pour le désarmement. D’autant que toute perspective de reconstruction des régions ravagées par la dernière guerre entre Israël et le mouvement chiite armé semble bloquée. Sans ce prérequis, asouligné Washington, le Liban ne pourra prétendre bénéficier du «partenariat» américain. Riyad, l’autre grand bailleur de fonds, est sur la même ligne.
Le texte de l’accord de trêve de novembre dernier a repris l’esprit de la résolution1701 du Conseil de sécurité des Nations unies, adoptée au terme de la guerre de l’été 2006, réclamant «la fin de la présence armée non étatique» au sud du fleuve Litani. Le Hezbollah se dit prêt à «coopérer» avec l’armée libanaise dans la remise de ses armes dans cette zone. Une attitude corroborée récemment par les déclarations du chef de l’armée libanaise Rodolphe Haykal devant le conseil des ministres.
Plus largement, se disant prêt à engager un «dialogue» voulu par l’État libanais sur une «stratégie de défense complète», le Hezbollah pose ses conditions: l’arrêt des attaques d’Israël contre le Liban et son retrait de cinq points frontaliers. Car malgré le cessez-le-feu, l’armée israélienne occupe toujours cinq positions «stratégiques» et multiplie les violations quotidiennes dans le sud et l’est du Liban – plus de 1500 selon l’armée libanaise, impuissante et dépourvue de mandat politique pour agir. La banlieue sud de Beyrouth, bombardée trois fois en un mois, est de nouveau dans le viseur israélien, avec le blanc-seing américain. Dimanche 27avril, une frappe que rien ne laissait présager a visé un entrepôt, dans la banlieue sud de Beyrouth.
«Désarmer le Hezbollah, qu’il s’agisse d’un souhait interne ou externe, ne peut se faire sans l’accord du Hezbollah lui-même. Le désarmer par la force, c’est risquer de déclencher un épisode de violence significative sur le terrain», note Aurélie Daher, enseignante-chercheuse à l’université Paris Dauphine. Un risque dont le chef d’État Joseph Aoun est bien conscient: il se dit favorable à un dialogue «bilatéral entre la présidence et le Hezbollah (…) loin de tout recours à la force». «Les questions intérieures controversées ne peuvent être abordées que dans un esprit de dialogue et de concertation, sans confrontation. Sinon, nous mènerons le Liban à la ruine», a-t-il ajouté le 20avril. Interrogée par La Croix, une source interne au Hezbollah met en avant, de son côté, les «bonnes relations avec le président depuis l’époque où il dirigeait l’armée», assurant que «le sujet des armes doit faire l’objet d’un processus de dialogue entre Libanais».
«Aussi paradoxal que cela puisse paraître, Israël fait tout pour maintenir le Hezbollah en selle, souligne Aurélie Daher. Le débat au Liban, depuis des années, oppose deux options: soit on accepte que l’armée libanaise est incapable de défendre le territoire et on soutient, par substitution, un Hezbollah qui a fait ses preuves, soit on ne veut plus du Hezbollah et on mise tout sur l’armée. Or Israël vient de réoccuper une partie du sud du pays, survole le pays quotidiennement, mène des attaques contre les infrastructures, des civils, des institutions qui n’ont rien à voir avec le Hezbollah – donnant à tous à voir l’incapacité de l’armée libanaise à faire aussi bien que le Hezbollah.» Washington et Paris, garants de la trêve, restent quant à eux muets sur les violations commises par Tel-Aviv.
Bien que l’on ignore l’étendue précise des pertes militaires du Hezbollah, l’équilibre de dissuasion qu’il avait instauré au lendemain de la guerre de 2006 semble bel et bien révolu. Le parti est par ailleurs isolé sur le plan régional suite au changement de régime en Syrie, qui l’a privé de sa principale voie d’approvisionnement. Et il doit en outre attendre l’issue des négociations sur le nucléaire entre Téhéran et Washington. «À court terme, le Hezbollah va se recentrer sur le périmètre libanais», prédit Aurélie Daher.
Malgré les craintes d’une nouvelle escalade militaire de la part d’Israël, le mouvement chiite n’a pas rouvert le feu. Selon Aurélie Daher, l’heure est à «la réorganisation de ses effectifs», aux «échanges sur les stratégies à venir», tout en veillant à préserver «l’intégrité de l’organisation», alors que des rumeurs persistantes font état de dissensions au sein du parti. En attendant, le mouvement dit «s’en remettre à l’État» qui a opté pour la diplomatie, sans grand succès jusqu’à présent. «Le Hezbollah se met en retrait et parie sur le fait que le gouvernement de Beyrouth va rapidement se heurter aux réalités du terrain. Le discours autour d’une solution diplomatique, mise en avant comme la seule légitime pour mettre fin à la réoccupation du Liban-Sud par Israël, ne tiendra pas face aux violations décomplexées de la souveraineté libanaise»,analyse Aurélie Daher.
Pour l’heure, le mouvement chiite resserre les rangs, comme l’avait déjà montré le million de sympathisants venu assister aux funérailles d’Hassan Nasrallah, le 23février dernier, tout en se préparant pour les prochaines échéances politiques. Il mobilise sa base pour une participation massive aux municipales le 24mai et aux législatives en mai 2026. Le message est clair: rappeler à ses adversaires que le Hezbollah est loin d’être mort.