L'agressivité de Donald Trump, les tarifs douaniers imposés au reste du monde et les questions qui se posent sur le respect de l'Etat de droit aux Etats-Unis font peser un risque sur l'hégémonie du billet vert.
Guillaume de Calignon, LES ECHOS.
Tout le monde sait ce que dit Donald Trump mais personne ne sait réellement ce qu'il veut obtenir. En instaurant des droits de douane aussi élevés sur une soixantaine de pays, quel objectif poursuit le président américain? La méthode de calcul des tarifs douaniers soi-disant réciproques qui consiste à considérer que les droits de douane doivent faire disparaître le déficit commercial des Etats-Unis avec chaque pays - apparaît au mieux baroque et au pire délirante.
Comme le dit Peter Berezin, stratégiste chez BCA Research, sur X, - exiger un commerce équilibré avec chaque pays revient à exiger que le fournisseur de chaque entreprise soit également son client. On en retient que les Etats-Unis ne comprennent plus que la force et cherchent à imposer au reste du monde un tribut à payer.
Chute rapide des importations
Pour Michala Marcussen, cheffe économiste de Société Générale, il y a trois possibilités. Soit l'administration Trump voit dans les tarifs douaniers une source de recettes fiscales pour l'Etat américain et, dans ce cas, elle cherchera à les maintenir, ainsi que les importations, pour financer la puissance publique. Soit c'est le déficit commercial des Etats-Unis qui pose problème et donc les négociations vont s'ouvrir pour dynamiser les exportations américaines. Soit l'objectif est de rapatrier des capacités de production indus-trielle en Amérique , explique-t-elle. Ces trois objectifs ne peuvent pas être réalisés tous en même temps, ajoute l'économiste.
Assurer de nouvelles recettes fiscales à l'Etat américain ne permettra probablement pas de lever beaucoup plus que quelques centaines de milliards de dollars. C'est certes beaucoup, mais bien loin des besoins des finances publiques, et certainement pas sufisamment pour abolir l'impôt sur le revenu comme promis.
Réindustrialiser les Etats-Unis semble être un pari compliqué à gagner. Même en taxant les importations du Bangladesh à 37%, pays qui exporte un peu plus de 8 milliards de dollars vers les Etats-Unis, dont une grande partie est de l'habillement, il paraît difficile de faire revenir des usines de sweat-shirts Gap ou de polos Ralph Lauren dans les Etats de la Rust Belt, la ceinture rouillée, ces Etats désindustrialisés comme l'Ohio ou la Pennsylvanie qui ont voté Trump en novembre dernier.
Au mieux, et ce serait déjà très bien pour les Etats-Unis, Trump peut espérer développer quelques industries de pointe à terme. Quant à réduire le déficit commercial américain, qui dépasse 1.200 milliards de dollars par an, cela prendra des années. La banque UBS anticipe une chute des importations de 20% à 30% sur les douze prochains mois, mais les exportations baisseraient aussi très vite.
Il y a une autre hypothèse émise par le conseiller économique de Donald Trump, Stephen Miran, titulaire d'un doctorat en économie à Harvard et ex-salarié d'un fonds d'investissement, dans un document publié en novembre dernier. Il s'agirait pour lui d'utiliser les droits de douane, en les liant à la défense américaine, pour faire pression sur les autres pays à acсер-ter une dévaluation du dollar, source de déséquilibres macroéco-nomiques de la planète.
En effet, le dollar est la seule réserve de valeur mondiale et c'est aussi le principal instrument de paiement dans le commerce international. De ce fait, tous les investisseurs souhaitent en détenir. La forte demande de billets verts pousse à une surévaluation de la monnaie américaine, ce qui pèse sur les exportations américaines et entraîne une désindustrialisation du pays, problématique dans la compétition avec la Chine.
Comme la demande de dollars est très forte, le déficit américain ne peut jamais se corriger. Le billet vert est considéré comme un fardeau énorme par Donald Trump. Comme il l'a dit à Bloomberg, l'été dernier, nous avons un gros problème de monnaie.
D'où l'idée de pousser les autres pays à réévaluer leur devise par raрport au dollar. Comme aucun n'a intérêt à le faire, il faut les y contraindre. Pour cela, quoi de mieux qu'utiliser les droits de douane comme instrument de négociation (si l'on est américain) ou de racket (si l'on est étranger). En échange, les Etats-Unis s'engageraient à défendre leurs alliés et à réduire les droits de douane.
Une hégémonie contestée
Mais, si le dollar est un fardeau pour Miran et Trump, c'est aussi un privilège exorbitant comme l'avait dit Valéry Giscard d'Estaing il y a soixante ans. La demande de dollars est tellement importante qu'elle permet en effet à l'Amérique de financer son train de vie sans contrainte, sans craindre de crise sur sa dette. Il faudrait se débarrasser du fardeau et le donner au reste du monde mais garder l'avantage que constitue l'hégémonie monétaire...
Cela passerait par une obligation faite aux étrangers, dont les Européens, à acheter de la dette publique américaine. Il est vrai que les Européens sont les premiers détenteurs de dette américaine mais, contrairement aux pays asiatiques, ce n'est pas la Banque centrale qui les possède, note ainsi Eric Monnet, professeur à l'Ecole d'économie de Paris. Or il est compliqué de forcer des fonds privés.
Surtout, il est impossible pour les Etats-Unis d'avoir le beurre et l'argent du beurre, et sûrement pas avec l'agressivité de Trump à l'égard du reste du monde. Pour acheter des bons du Trésor américains, il faut avoir confiance dans l'Amérique et son gouvernement. Or c'est de moins en moins le cas. Comme l'écrit l'économiste américain Barry Eichengreen, professeur à Berke-ley, dans un article publié dans le Financial Times: « L'incertitude politique et les doutes sur l'Etat de droit menacent de faire de l'Amérique un pays moins attractif pour investir.
Sans compter que les Européens craignent que la Fed ne joue plus son rôle de prêteur en dernier ressort à l'avenir. Sous Trump, la mise à disposition de dollars via des lignes de swaps aux banques centrales en cas de coup dur est questionnée. Il devient un peu moins sûr de détenir des dollars et cela commence à se voir sur les marchés. La forte demande d'or en est la preuve. Aujourd'hui, c'est un vrai sujet de se couvrir par rapport au risque de change si vous êtes exposé aux actions américaines, alors qu'il y a encore quelques mois ce n'était pas le cas, indique Christopher Dembik, senior investment adviser chez Pictet Asset Management. D'ailleurs, le dollar ne joue pas pleinement son rôle de valeur refuge aujourd'hui, qui semble plutôt repris par le franc suisse et l'euro.
Une défiance sans précédent
Même les économistes de la banque américaine Goldman Sachs opèrent une mise en garde. Les tendances négatives de la gouvernance et des institutions américaines érodent le privilège exorbitant dont bénéficient depuis longtemps les actifs américains, ce qui pèse sur les rendements des actifs américains et sur le dollar, et pourrait continuer à le faire à l'avenir, préviennent-ils ainsi dans une note.
Selon eux, l'euro pourrait valoir 1,20 dollar dans un an, contre 1,09 lundi. Trump pourrait donc finalement obtenir une dévaluation du dollar. Mais avec une récession aux Etats-Unis et une défiance sans pré-cédent. C'est une période caractéristique de fin de cycle hégémonique mondial, conclut Tania Sollogoub, économiste chez Crédit Agricole.