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Malgré la fragilisation, depuis le 7 octobre 2023, de la solution à deux États, l'ex-ministre palestinien des Affaires étrangères Nasser al-Kidwa et l'ancien Premier ministre israélien Ehud Olmert promeuvent leur plan de paix partout où ils le peuvent. Rencontre à l'occasion du lancement du groupe de réflexion Atlantic Middle East Forum, lié à la Fondation Jean-Jaurès.
Marianne: Vous n'êtes pas seulement des partisans de la solution à deux États, vous en êtes aussi des architectes. Quels sont les contours de votre projet de paix ?
Ehud Olmert: Nous ne nous connaissons que depuis quelques années, et plus nous partions, plus nous prenions conscience que nous avions beaucoup en commun. Nous nous sommes alors dit : « Si nous sommes d'accord sur autant de choses, essayons de formuler cela dans une déclaration.»
Depuis le début du conflit, la solution à deux États a toujours été présente. Or, ces dernières années, elle a disparu du débat public. Depuis le 7 octobre 2023, en Israël, les émotions sont très fortes, tout tourne autour de la vengeance. Du côté palestinien. le niveau de destruction et les pertes humaines ont engendré une attitude similaire. Mais nous avons décidé que c'était le hon moment pour faire cette proposition. Pourquoi? Parce que quelqu'un devait adopter une approche différente, au lieu de simplement continuer la rhétorique de la guerre. Au début, nous avons fait face à de l'incompréhension de la part de nos interlocuteurs. Ensuite, la communauté internationale, les Saoudiens, les Norvégiens... ont compris l'enjeu. Quant au président Emmanuel Macron, il a été très réceptif à notre message, dès le départ. Nous l'avons rencontré il y a six mois. Nous allons probablement le revoir à l'occasion de ce séjour en France. Nous respectons beaucoup sa détermination à poursuivre dans cette direction.
Nasser al-Kidwa: La solution à deux États est une nécessité. Les deux peuples n'ont pas d'autre choix que de vivre ensemble. Et pour qu'ils puissent vivre ensemble, nous devons vivre dans deux États. Les propositions conjointes que nous avons présentées s'appuient sur les frontières de 1967, non pas parce que nous en révons, mais parce qu'il existe une légitimité internationale.
Nous nous sommes mis d'accord, Israéliens et Palestiniens, sur le fait que les frontières de 1967 sont les bonnes. On ne peut pas les remettre en question toutes les cinq minutes. Elles sont là pour rester. Bien sûr, nous avons aussi proposé un échange de territoires (une partie des colonies en Cisjordanie cédée à Israël contre 4,4% du territoire israélien annexé par les Palestiniens). Ehud Olmert avait suggéré que cela représente 4,4% du territoire de la Cisjordanie. Concernant Gaza, nous suggérons la création d'un comité lié à l'Autorité palestinienne, qui disposerait de pouvoirs exécutifs indépendants pour gouverner la bande. Nous avons aussi proposé l'établissement d'une présence arabe temporaire, pouvant être renforcée par des pays non arabes. Du côté israélien, le problème de l'existence de nombreux colons serait réglé. Du côté palestinien, le problème de la liaison entre la Cisjordanie et Gaza serait également résolu.
Il faut que tout le monde comprenne soit nous choisissons la guerre, elle continue sous une forme ou une autre, avec ses souffrances, le sang qui coule, ses combats; soit nous choisissons la coexistence. Nous n'avons pas proposé un plan complet, mais des lignes directrices. Nous avons aussi évoqué Jérusalem comme capitale des deux États. Nous avons proposé qu'il y ait une entente entre plusieurs pays - peut-être cinq, un peu plus ou un peu moins - incluant Israël et la Palestine et qui serait responsable de l'administration des Lieux saints. Et en faisant tout cela, nous pourrons résoudre la plupart des problèmes, Tant que la guerre continue, les populations sont focalisées sur la vengeance, sur le sang Et à ce stade, hélas, tout le monde veut du sang. Mais dès que cela sera terminé, dès que la guerre s'arrêtera, ils commenceront à penser différemment. Alors la majorité des Israéliens et des Palestiniens soutiendront ce que nous proposons aujourd'hui. Ehud Olmert: Vous voyez, l'idée de deux États est toujours vivante! Il n'y a pas d'alternative. Il y a beaucoup d'idées différentes, comme une solution à un seul État, mais ce n'est pas une solution.
Une confédération, peut-être ? Ce modèle a ses soutiens.
Ehud Olmert: Ce sont des fantasmes. Rien de tout cela n'est réaliste. Il faudrait d'abord un État palestinien reconnu, séparé, souverain. Et qu'il décide ensuite de former une fédération ou une confédération avec Israël, éventuellement la Jordanie..
Quoi qu'il en soit, il est fondamental que les Palestiniens doivent exercer leur droit à l'autodétermination. Ce n'est pas un cadeau. Ce n'est pas un privilège que quelqu'un peut leur accorder. C'est leur droit.
Quels sont vos alliés en Israël qui soutiennent aujourd'hui la solution à deux États?
Ehud Olmert: Je suis israélien, ancien Premier ministre d'Israël, je ne viens pas de nulle part! Je viens du courant main stream de la politique israélienne. Et le docteur Al-Kidwa ne vient pas non plus des marges. Personne n'est plus représentatif que lui. Nous sommes tous deux debout. devant le monde entier, devant nos propres sociétés. Nous représentons de nombreuses personnes qui partagent cette vision.
Mais, tant que les otages sont détenus, les armes ne se tairont pas.
Ehud Olmert: La guerre doit se terminer dès aujourd'hui, et les otages devront être ramenés. Il faudra conclure un accord. Des prisonniers palestiniens devront être libérés dans le cadre de cet accord, et Israël devra se retirer de Gaza. Ce sont des préalables qui doivent mener à ce que nous envisageons. Un changement stratégique devra avoir lieu, qui transformera non seulement le Proche-Orient, mais bien au-delà. Ce changement, c'est un nouvel axe de pays coopérants ensemble: Israël et la Palestine, en tant qu'Etats indépendants, la Jordanie, l'Égypte, les Émirats. Bahreïn, l'Arabie saoudite, ainsi que le Maroc et les pays d'Afrique du Nord. et ensuite des États musulmans au-delà du Moyen-Orient. Et, bien sûr, il y a la coopération avec les États-Unis et l'Europe.
Qui sont vos principaux adversaires? Qui s'opposent à ce projet ?
Ehud Olmert: Les forces traditionnelles des extrémistes palestiniens et israéliens. En Israël, les groupes messianiques avec Smotrich. Ben-Gvir et aussi Netanyahou. La communauté palestinienne a malheureusement été dominée soit par des groupes extrémistes et fondamentalistes, comme le Hamas et le Djihad islamique, soit par une direction inefficace. qui n'a pas eu le courage ni la vision permettant d'avancer avec détermination. Quand j'ai proposé à Abou Mazen (Mahmoud Abbas), en 2008-2009, la solution à deux États, il aurait pu dire oui, mais il ne l'a pas fait. Cela aurait pu changer la vie de millions de personnes. Au sein de nos propres communautés, tant en Palestine qu'en Israël beaucoup nous soutiennent. Ils ne sont pas encore assez entendus, mais ils émergeront. Et, bien sûr, la communauté internationale.
Nasser al-Kidwa: Qui est contre nous? On peut regarder des deux côtés. D'une part. le gouvernement israélien actuel, avec M. Netanyahou et consorts. D'autre part, M. Abbas et son entourage. Même s'il n'est pas mauvais en soi, il a créé un système corrompu. Et une partie de leurs intérêts est de ne pas avoir de véritables solutions. Ce sont les ennemis de la création d'une nouvelle situation au Proche-Orient.
Après le 7 octobre 2023, pourquoi ce qui a échoué il y a trente ans, au moment des accords d'Oslo, fonctionnerait aujourd'hui?
Nasser al-Kidwa: M. Netanyahou a donné de l'argent au Hamas, n'est-ce pas? M. Netanyahou a veillé à ce qu'il y ait deux centres de pouvoir l'un à Gaza avec le Hamas, et l'autre à Ramallah, corrompu. Pourquoi? Pour éviter toute solution. Donnez au peuple palestinien l'espoir d'un avenir meilleur pour leurs enfants, et ils tourneront massivement le dos au Hamas, je vous le garantis. Quand ils n'ont rien, ils se comportent de manière folle. Si vous voulez réussir, vous devez convaincre tout le monde, de tous horizons, que c'est la voie à suivre. Les gens doivent voir les choses pour y croire, car je sais bien qu'il y a eu beaucoup de déceptions... Dès qu'ils verront des choses concrètes, ils soutiendront l'initiative.
Les États arabes ne semblent pas se battre pour résoudre la question palestinienne.
Nasser al-Kidwa: Les États arabes peuvent et doivent faire beaucoup plus. Ils ne le font pas, en partie du fait de l'absence d'un chef d'orchestre palestinien, c'est-à-dire quelqu'un de respecté, d'apprécié, capable de les rassembler et de construire un consensus. S'il fallait blåmer quelqu'un, je commencerais par les Palestiniens. C'est une question de principe. Si les Palestiniens avaient mieux agi, les Arabes auraient probablement fait de même. Et la communauté internationale aurait alors suivi. Donc tout commence par la situation palestinienne, qui doit être corrigée.
Comment l'expliquez-vous?
Ehud Olmert: D'abord, je ne suis pas de gauche. Et, pardonnez-moi, mais cette analyse est un peu simpliste. Gauche, droite... La majorité des Israéliens veulent la paix. Qu'ils soient de droite, du centre ou de gauche.
Que pensez-vous des mouvements Free Palestine, en Occident, et du climat qui règne depuis le 7 octobre 2023?
Ehud Olmert: Ce qui s'est passé le 7 octobre est inoubliable et impardonnable. La brutalité, le massacre, le meurtre d'enfants, le viol des mères, les décapitations... ne seront jamais oubliés, jamais pardonnés. Et c'est pourquoi Israël avait le droit de traquer le Hamas partout où il se trouvait, et de tenter d'éliminer et d'éradiquer sa force militaire afin de s'assurer que cela ne se reproduise jamais. Malheureusement, la patience de la communauté internationale a été très courte. La sympathie spontanée exprimée dans le monde envers Israël s'est immédiatement transformée en impatience face à la réaction israélienne. J'ai trouvé cela émotionnellement injuste, mais c'est une réalité qu'on ne peut ignorer.
J'ai des critiques à formuler contre le gouvernement israélien, et je les exprime sans hesitation. Cependant, il n'y a pas de politique de génocide. Des crimes ont été commis, mais il ne s'agit pas d'une politique du gouvernement ou de l'armée. Lorsque le président Macron, le président Biden, le chancelier Scholz, la Première ministre Meloni, et, à l'époque, le Premier ministre britannique Sunak ont dit: Israël a le droit de traquer le Hamas partout à Gaza, pensaient-ils qu'il n'y aurait pas de dommages collatéraux? Ne savaient-ils pas que des Palestiniens innocents seraient tués parce qu'ils sont mélés au Hamas - sous terre ou sur terre, dans les hôpitaux, les mosquées, les maisons, partout? Si vous dites à Israël qu'il peut intervenir, vous devez savoir ce que cela implique. A ce moment-là, je ne pouvais pas accepter les critiques contre Israël. Mais depuis mars, quand le gouvernement israélien a décidé de ne pas respecter la deuxième phase de l'accord avec le Hamas et d'élargir la guerre, j'ai dit : « Je ne peux pas l'accepter. Car il n'y a plus d'objectif, plus de but, plus rien à atteindre. »
Si une guerre est menée non pas pour l'intérêt national, mais pour des considérations politiques personnelles, et que des soldats meurent, que des otages peuvent mourir que de nombreux Palestiniens non impliqués sont tués, alors on ne peut plus la tolérer.
Que peut-on attendre de la part de Donald Trump et de l'administration américaine par rapport à l'ère Biden?
Nasser al-Kidwa: Il ne s'agit pas de Trump ou de Biden, il faut appréhender l'adminis-tratio américaine dans son ensemble. Elle ne peut être considérée comme un acteur neutre puisqu'elle est clairement du côté d'Israël. Cela étant dit, on ne peut ignorer le rôle et le poids des États-Unis. À ce titre. il faut traiter avec eux, et espérer obtenir quelque chose. La dernière expérience avec l'administration Trump n'a, à mes yeux, rien apporté de positif. Mais, cette fois, qui sait? Nous verrons bien.
Ehud Olmert: Donald Trump est connu pour être imprévisible. Je n'ai trouvé personne en Amérique capable de me garantir ce qu'il fera. Mais une chose est sûre, Trump n'aime pas les guerres. II l'a prouvé pendant ses quatre années de présidence. En général, il n'est pas enthousiaste à l'idée de s'impliquer dans des opérations militaires.
S'il était devant moi, je lui dirais: Président, rien ne vous apportera plus de respect et de gratitude que d'utiliser votre pouvoir de persuasion - qui dépasse celui de tout autre dans le monde pour changer la direction du Proche-Orient. » II devrait convoquer Bibi Netanyahou dans l'endroit qu'il aime le plus: le Bureau ovale. Assis côte à côte, face aux caméras ce qu'ils aiment tous les deux, et Trump pourrait alors lui dire: Netanyahou, ça suffit!