Rafael Grossi, directeur de l’AIEA : « Ils n’en sont pas loin! »

Rafael Grossi, directeur de l’AIEA : « Ils n’en sont pas loin! »
الخميس 17 إبريل, 2025

Grossi : « Si l’Iran possède le matériel suffisant pour fabriquer plusieurs bombes, il ne dispose pas encore de l’arme nucléaire. Mais ils n’en sont pas loin »

Le chef de l’Agence internationale de l’énergie atomique rappelle son souhait de voir son organisation associée au dialogue engagé à Oman entre l’Iran et les Etats-Unis sur le dossier du nucléaire iranien. Il se rend mercredi en Iran.

Propos recueillis par Jacques Follorou (Vienne, envoyé spécial) le monde

Directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) depuis 2019, Rafael Grossi se rend en Iran mercredi 16 avril. Dans un entretien au Monde, il évoque son souhait de voir son organisation associée au dialogue engagé à Oman entre l’Iran et les Etats-Unis sur le dossier du nucléaire iranien. Il estime que l’Iran n’est « pas loin » de disposer de l’arme nucléaire.

Vous vous rendez à Téhéran, juste après la rencontre, à Oman, le 12 avril, entre Abbas Araghtchi, chef de la diplomatie iranienne, et Steve Witkoff, envoyé spécial américain pour le Moyen-Orient, organisée pour relancer l’idée d’un accord sur le nucléaire. Est-ce pour revendiquer une place à la table des négociations ?
Nous ne faisons pas partie de ce dialogue bilatéral entre MM. Araghtchi et Witkoff, mais nous n’y sommes pas indifférents. Ils savent bien que nous devrons donner notre avis sur un éventuel accord, car ce sera à nous de le vérifier. Nous avons donc déjà engagé des échanges informels avec eux. Mais dès qu’il y aura un texte avec des dispositions concrètes, on sera appelés à se prononcer sur les modalités et l’étendue des vérifications à mettre en place.

Votre décision d’aller en Iran n’a-t-elle pas été perçue comme intrusive par les deux parties ?

Non, je vais en Iran et ce pays est intéressé par ma venue. Je n’ai pas eu à m’imposer. Tout le monde s’accorde à dire que la participation de l’agence est toujours indispensable, quelle que soit la nature des discussions. Sans nous, tout accord n’est qu’une feuille de papier. Pour qu’il ait du sens, il faut avoir un système robuste de vérification que nous sommes les seuls à fournir.

Pourquoi Donald Trump relance-t-il des discussions sur le nucléaire iranien alors qu’il a retiré, en 2018, son pays de l’accord signé en 2015 sur ce sujet ?

Lors de son premier mandat, le discours était que l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien, le Joint Comprehensive Plan of Action (JCPoA) [signé en 2015 entre l’Iran, d’une part, et la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, les Etats-Unis, la Chine et la Russie, d’autre part] était trop généreux et donnait trop de flexibilité à l’Iran. Cette fois-ci, les Etats-Unis veulent aboutir à un texte plus simple, allégé de toutes les clauses annexes, très techniques, de l’accord de 2015, qui n’ont pas résisté à l’épreuve de la réalité. Selon les deux parties, il s’agirait désormais d’interdire, d’une manière plus directe, certaines activités, comme l’enrichissement. En retour, l’Iran obtiendrait la levée des sanctions ou des mesures d’aides aux investissements. Ce qui structure les échanges lancés à Oman, c’est l’idée de contrepartie.

La pression militaire américaine au Moyen-Orient, notamment la menace de frappes sur l’Iran, n’a-t-elle pas aussi conduit Téhéran à accepter ce dialogue ?

Chacun a son discours officiel. Les Iraniens disent qu’ils n’accepteront aucune pression. Les Américains affirment qu’il faut un accord sinon il y aura une intervention directe. C’est le jeu de la diplomatie et de l’ambiguïté constructive. L’important est que ce processus ait lieu.

Les Européens, Londres, Paris et Berlin ont été mis hors jeu. Le regrettez-vous ?

Il faut prendre ce qu’on peut avoir. Le chemin qui a conduit à l’accord de 2015 [avec la participation des Européens] n’existe plus. On avait le P5, les cinq du Conseil de sécurité, plus l’Allemagne, sous la coordination de l’Union européenne. Ce front était alors uni. La guerre en Ukraine a eu des effets collatéraux. Par ailleurs, la Russie et la Chine ne voient plus l’UE comme un acteur neutre. Enfin, Moscou a noué une alliance militaire avec Téhéran. Aujourd’hui, le groupe qui a fait l’accord de 2015 est très polarisé, il est évident qu’il ne fonctionne plus. Les événements internationaux ont changé le rôle des différents acteurs et leur capacité à peser sur le processus en cours sur le nucléaire iranien. L’objectif final, c’est la paix, c’est éviter une guerre et empêcher de voir apparaître l’arme nucléaire en Iran.

L’urgence de trouver un accord n’est-elle pas aussi plus grande en 2025 qu’en 2015 au regard des capacités de l’Iran à se doter de l’arme nucléaire ?

Si l’Iran possède le matériel suffisant pour fabriquer non pas une mais plusieurs bombes, il ne dispose pas encore de l’arme nucléaire. C’est comme un puzzle, ils ont les pièces et ils pourraient éventuellement un jour les mettre ensemble. Il reste du chemin à parcourir avant d’y parvenir. Mais ils n’en sont pas loin, il faut le reconnaître. Ces quatre dernières années, on a constaté une accélération très soutenue de la part de l’Iran.