Renaud Girard : «L’occasion historique d’une détente irano-américaine»

Renaud Girard : «L’occasion historique d’une détente irano-américaine»
الثلاثاء 15 إبريل, 2025

CHRONIQUE - En échange d’un renoncement à l’arme nucléaire, les Américains sont prêts à suspendre progressivement les sanctions affligeant l’économie iranienne, ce qui permettrait à l’Iran de redevenir une grande puissance commerciale.

Dans les relations internationales, il y a fatalement beaucoup de routine et d’échanges sans grand intérêt. Mais, parfois, une simple rencontre entre diplomates peut se révéler cruciale pour l’avenir de la paix dans le monde. C’est le cas de la rencontre qui s’est effectuée à Mascate, le 12 avril 2025, sous l’égide du ministre omanais des Affaires étrangères, entre Steve Witkoff, l’envoyé spécial pour le Moyen-Orient du président Trump, et Abbas Araghchi, le ministre des Affaires étrangères de la République islamique d’Iran.

J'avais eu la chance, il y a sept ans, de dîner avec lui, à l'ambassade d’Iran à Paris et d’apprécier sa brillante intelligence et sa parfaite maîtrise de l’anglais. Ce diplomate de carrière était alors vice-ministre chargé des Affaires politiques. En charge du dossier diplomatique nucléaire de son pays, il essayait à l’époque de maintenir en vie le JCPOA (Joint Comprehensive Plan of Action). Signé le 14 juillet 2015 à Vienne, dans un but de non-prolifération nucléaire, par les États-Unis, la Russie, la Chine, la France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et l’Iran, cet accord international prévoyait une suspension progressive des sanctions s’appliquant à l’Iran, en échange d’un abandon parTéhéran de son programme d’enrichissement d’uranium.

Quatre inspections inopinées, successives, de l’AIEA, l’agence internationale de l’énergie atomique de Vienne avaient ensuite constaté que l’Iran s’acquittait bien de ses obligations au titre du JCPOA. Jaloux ou méfiant envers un brillant résultat diplomatique de l’Administration Obama, Trump avait retiré les États-Unis de l’accord en mai 2018. La France, l’Allemagne et la Grande Bretagne, qui restaient très satisfaites de l’accord, avaient alors créé ensemble une société, appelée Instex, destinée à favoriser les échanges commerciaux avec l’Iran, sans utiliser le dollar. Mais cela n’avait pas marché car les industriels et banquiers européens, redoutant d’éventuelles représailles du Trésor américain, n'avaient pas utilisé Instex et avaient gelé leurs relations avec Téhéran. Constatant que l’accord devenait caduc, les Iraniens avaient alors repris leur politique d’enrichissement d’uranium. Ils disposent désormais d’un stock important d’uranium enrichi à 60%. Il leur faudrait aujourd’hui très peu de temps pour parvenir au seuil militaire des 90% d'enrichissement. Pour l’alimentation des centrales nucléaires de production d’électricité, on utilise de l’uranium enrichi à 4%; et pour la recherche médicale, à 20%.

La rencontre Witkoff-Araghchi, d’abord indirecte, puis directe àlafin,s’est bien passée. Les Iraniensont apprécié qu’elle se soit déroulée sur un pied d’égalité et que l’envoyé spécial américain pour le Moyen-Orient n’ait pas repris les menaces de bombardements qu’avait évoquées Donald Trump, dans un de ces moments où le 47e président des États-Unis aime à se lâcher devant les journalistes couvrant la Maison-Blanche. Un nouveau rendez-vous américano-iranien a été pris pour le samedi 19 avril. À Téhéran, la majorité des dirigeants du régime théocratique considèrent que le temps est venu pour un dialogue direct avec les Américains. Les Iraniens ne veulent pas être les grands absents de la reconfiguration économique et politique qui s’annonce au Moyen-Orient.

La négociation Washington-Téhéran sera facilitée par le fait que les Américains ne peuvent plus reprocher aux Iraniens de manipuler un axe chiite déstabilisateur dans la région. À l'automne 2024, deux événements militaires successifs ont en effet concouru à démanteler cet axe chiite: la défaite du Hezbollah face à Israël au Liban, puis la conquête de la Syriepar des Frères musulmans sunnites appuyés par la Turquie. Les chiites houthistes du Yémen - qui harcèlent les navires occidentaux en mer Rouge - posent encore un problème, mais rien ne prouve qu’ils n’agissent pas motu proprio. Au Moyen-Orient, la volonté de défendre la cause palestinienne et de défier Israël n’est pas l’apanage des ayatollahs iraniens. Elle est partagée par un certain nombre de gouvernements et par la majorité des populations du monde arabo-islamique.

La négociation américano-iranienne portera en priorité sur le dossier nucléaire. Pour les Américains et les Européens, mais aussi pour les Russes et les Chinois, il n’est pas question que l’Iran accède à l’arme nucléaire. Diplomatiquement, cela remettrait en cause le principe de non-prolifération et le traité de 1968, signé et ratifié par l’Iran. Stratégiquement, cela lancerait une très dangereuse course aux armements nucléaires dans l’ensemble du Moyen-Orient. Car une fois que l’Iran aurait acquis l’arme, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, la Turquie et l’Égypte chercheraient immédiatement à faire de même. Les jeux nucléaires sont déjà très dangereux à deux partenaires, comme l’ont montré les exemples de la crise américano-soviétique des missiles de Cuba (1962) et de la confrontation indo-pakistanaise de Kargil («guerre des glaciers »de de 1999). Mais, en raison des malentendus possibles, la dangerosité d’un jeu nucléaire augmente exponentiellement en fonction du nombre des joueurs. Et cela, les grandes puissances nucléaires membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONUn’en veulent pas.

En échange d’un renoncement à l’arme nucléaire, les Américains sont prêts à suspendre progressivement les sanctions affligeant l’économie iranienne, ce qui permettrait à l’Iran de redevenir la grande puissance commerciale qu’elle était du temps du chah, dans les années précédant la Révolution islamique (1979). C’est une occasion historique à ne pas manquer pour le régime théocratique de Téhéran qui a besoin d’offrir à sa jeunesse des perspectives de développement économique, à défaut de libertés politiques. Le président Trump n’est pas un néo-conservateur, il ne privilégie pas la démocratie par rapport à la paix, et il n’exigera jamais des Iraniens qu’ils changent de régime.

Pour Donald Trump, qui voit les négociations de paix sur l’Ukraine traîner en longueur du fait de la mauvaise volonté du Kremlin, il est important que la négociation américano-iranienne débouche rapidement sur un résultat concret. Dans son discours inaugural du 20 janvier 2025, le président américain a promis qu’il arrêterait les guerres en cours et qu’il n’en déclencherait pas de nouvelles. Il a là une occasion historique de prouver que, diplomatiquement, il ne se contente pas de parler mais qu’il est aussi capable de réaliser de vraies contributions à la paix mondiale.

LE FIGARO