Syrie: des bases turques dans le viseur des frappes israéliennes

Syrie: des bases turques dans le viseur des frappes israéliennes
الجمعة 4 إبريل, 2025

DÉCRYPTAGE - Hostile à l’établissement de positions militaires turques, l’aviation israélienne a intensifié ses bombardements contre plusieurs cibles en Syrie.

Par Georges Malbrunot, LE FIGARO. 

Quelques heures après une série de frappes contre cinq régions de Syrie, Damas a accusé, jeudi, Israël de vouloir « déstabiliser » le pays. Mercredi soir, l’aviation israélienne avait ciblé le centre de recherches militaires de Barzé à Damas, l’aéroport militaire d’al-Chaayrat près de Hama, qui aurait été presque totalement détruit, et la base militaire T-4 près de Palmyre.

Ces attaques, d’une trentaine de minutes au total, ont tué 13 personnes, dont quatre militaires, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH). « Cette escalade injustifiée constitue une tentative préméditée de déstabiliser la Syrie », a accusé le ministère des Affaires étrangères. Israël, qui a reconnu ces bombardements contre « des capacités militaires encore présentes » en Syrie, a averti le président par intérim Ahmed al-Charaa qu’il paierait un « lourd tribut », si la sécurité d’Israël était menacée.

Jeudi à l’aube encore, après avoir, selon Israël, répondu à des tirs d’hommes en armes dans le sud de la Syrie, neuf civils syriens ont été tués dans la province de Deraa, alors qu’ils s’opposaient à une incursion israélienne, selon les autorités locales.

Ces frappes israéliennes ne sont pas nouvelles. Au cours des dix jours qui ont suivi la chute de Bachar el-Assad, le 8 décembre dernier, l’aviation israélienne a bombardé près de 600 sites militaires en Syrie. Peu après, en janvier, le premier ministre Benyamin Netanyahou aexigé «la démilitarisation totale du sud de la Syrie», affirmant qu’il ne tolérerait pas que les forces du nouveau pouvoir, des islamistes ayant renoncé audjihad, se déploient au sud de Damas , nonloin desafrontière.

«Un lourd tribut »
Dans le même temps, Ahmedal-Charaa affichait, pourtant, un ton conciliant à l’égard d’Israël, campant sur une posture de «zéro problème» avec son voisinage. «Lorsque nous l’avons rencontré mi-janvier, confie un ancien ministre des Affaires étrangères, nous avons été surpris qu’al-Charaa ne nous parle même pas de l’occupation israélienne du plateau du Golan (depuis 1967, NDLR)». Israël venait pourtant d’envoyer, dans une zone tampon démilitarisée du Golan syrien, des troupes qui ysont encore déployées.

«Si vous permettez à des forces hostiles d’entrer en Syrie et de menacer les intérêts sécuritaires d’Israël, vous paierez un lourd tribut», avertit désormais le ministre israélien de la Défense, Israël Katz. Quelles sont ces forces étrangères? Des miliciens pro-iraniens ou du Hezbollah libanais, comme avant la chute d’el-Assad? Certainement pas, l’Iran et ses alliés ont dû battre en retraite, et depuis le renversement de leur allié, le nouveau pouvoir syrien a intercepté 18 convois d’armes destinées au Hezbollah au Liban. En revanche, la Turquie, grand vainqueur de la nouvelle donne à Damas, après avoir sponsorisé al-Charaa et ses hommes pendant des années dans leur fief d’Idlib, est clairement dans le collimateur de l’État hébreu.

Fin janvier, Ankara a proposé aux autorités syriennes de déployer des avions de combat et des systèmes de défense antiaériens sur deux bases- celles qui ont été visées ces dernières heures par l’aviation israélienne- afin de rendre à la Syrie la souveraineté de son espace aérienne.

«En fait, précise un opposant à Bachar el-Assad en discussion avec les nouvelles autorités syriennes, la Turquie veut établir deux bases militaires en Syrie et un centre d’instruction militaire, dont la construction est amorcée, mais al-Charaa est gêné.» Jusqu’à maintenant, le président syrien n’a pas officiellement accepté la proposition turque. «D’un côté, privé de moyens de défense, il a besoin d’un pays qui le protège, mais de l’autre, il sait que s’il accepte, ce sera vu comme un casus belli par Israël, qui ne veut pas du tout voir la Turquie prendre la place de l’Iran sous Bachar comme protecteur de la nouvelle Syrie», analyse ce responsable politique syrien, joint au téléphone à Damas. Que peut-il faire après les dernières frappes intensives israéliennes? Accepter un traité de défense avec la Turquie l’exposerait à une escalade militaire israélienne qui mettrait à nu sa faiblesse devant son peuple, qu’il a déjà du mal àrassembler. Mais dire non mécontenterait son allié turc dont il a notamment besoin en matière économique.

L’État hébreu reproche également au nouveau maître de Damas d’avoir libéré des activistes islamistes palestiniens, proches du Hamas et du Djihad islamique. Damas, de son côté, critiqué la stratégie israélienne en Syrie, visant à soutenir les minorités pour affaiblir l’État central, une constante de la politique israélienne dans son voisinage arabe depuis des décennies. Début mars, Israël est allé jusqu’à menacer d’intervenir en soutien de druzes dans le quartier de Jaramana en banlieue de Damas. Quant à l’appui israélien, là encore non dissimulé, aux Kurdes du Nord-Est syrien, il ne peut que rendre furieux tout à la fois al-Charaa et la Turquie.