Le président américain a pris acte de l’attaque israélienne, qu’il a jugé « réussie », mais s’accroche à une solution négociée, tant la répugnance est grande, au sein de sa base, pour les engagements militaires extérieurs.
Par Piotr Smolar (Washington, correspondant). Le Monde
Donald Trump promettait de mettre fin à la guerre en Ukraine ? Elle fait rage. Le désastre à Gaza ? Il se poursuit, loin des rêves artificiels du magnat de transformer ce territoire palestinien en Riviera. Et voici à présent le président américain, en contradiction avec sa profession de foi pacifiste et son rejet des aventures militaires, au seuil d’une nouvelle guerre au Moyen-Orient impliquant son pays, en soutien d’Israël. L’opération spectaculaire conduite par l’Etat hébreu contre l’Iran a placé la Maison Blanche dans une position inconfortable, où elle semble subir les événements tout en suggérant qu’elle les initie. Paix introuvable, confrontation inévitable : Donald Trump a pris acte de l’attaque, la trouvant « réussie », sans la saluer ouvertement. Lorsque une centaine de missiles iraniens ont été lancés en réponse, dans la soirée du vendredi 13 juin, les forces armées américaines ont pris leur part dans la défense d’Israël, comme ce fut le cas à deux reprises sous la présidence Biden, en 2024.
Pour Donald Trump, la priorité demeure le sort du personnel civil et militaire américain déployé au Moyen-Orient, une cible potentielle pour l’Iran. Or Israël tente d’associer Washington à son entreprise, en soulignant l’échange d’informations en amont. « Il semble que Trump avait une connaissance préalable des frappes israéliennes, et qu’il a donné un feu entre le vert et l’orange », estime Dan Shapiro, ancien ambassadeur en Israël, aujourd’hui expert au cercle de réflexion Atlantic Council.
Après la publication jeudi soir d’un communiqué d’une neutralité rare par le secrétaire d’Etat, Marco Rubio, soulignant la nonparticipation américaine, Donald Trump s’est lancé dans une succession d’appels à des journalistes. A chacun, le même message : l’opération israélienne pourrait faciliter l’option diplomatique qu’il a choisie avec Téhéran depuis deux mois, par l’intermédiaire de son envoyé spécial, Steve Witkoff.
Tout en soulignant sur son réseau Truth Social qu’Israël dispose d’une grande quantité d’armes américaines – « les meilleures et les plus létales » –, Donald Trump s’accroche à une solution négociée, au risque d’un décalage avec l’escalade du moment. « Il y a déjà eu beaucoup de morts et de destructions, mais il est encore temps d’arrêter ce massacre, alors que les attaques planifiées ensuite seront encore plus brutales. L’Iran doit conclure un accord, avant qu’il ne reste rien », a écrit le président.
Se distancier de Nétanyahou
Du côté israélien, des sources officielles assuraient que Donald Trump était non seulement au courant, mais que les Etats-Unis avaient participé à l’endormissement du régime iranien, en faisant croire que le rendez-vous diplomatique à Oman, prévu dimanche 15 juin avec Steve Witkoff, était maintenu et décisif. Mais les Etats-Unis veillent à ne pas apparaître comme coresponsables de cette opération, à la fois pour des raisons sécuritaires et idéologiques, tant l’idée d’une aventure militaire à l’étranger réveille, au sein du monde MAGA (« Make America Great Again »), le spectre des néoconservateurs honnis.
Au sein du mouvement, des tensions émergent. Elles ont été résumées jeudi par Charlie Kirk, l’une de ses figures influentes, à la tête de l’organisation Turning Point USA. « Aucune question ne divise actuellement la droite autant que la politique étrangère », écrit-il sur X. Dans sa lettre du matin, Tucker Carlson, ancien présentateur de Fox News devenu l’une des voix de la droite identitaire, estimait même que Donald Trump était « complice dans un acte de guerre ».
L’ambiguïté stratégique dans l’opération israélienne complique la donne. Elle tient à la tentation chez M. Nétanyahou d’un changement de régime en Iran. Qu’est prêt à faire le président américain, dénué d’affect en politique étrangère, traitant souvent ses alliés sans grands égards ? Le dirigeant a déjà démontré sa capacité à dire non à Benyamin Nétanyahou et à se distancier de lui, souligne Aaron David Miller, vétéran de la diplomatie américaine. « Ces deux derniers mois, note cet expert au centre de réflexion Carnegie Endowment for International Peace, Trump a ignoré à plusieurs reprises les objections du premier ministre [israélien]. Celui-ci s’était opposé à la levée des sanctions américaines contre la Syrie, Trump l’a fait. Israël ne voulait pas qu’il ouvre un canal de communication avec le Hamas, Trump a passé un accord afin d’obtenir la libération d’Edan Alexander à Gaza, à la veille de sa tournée au Moyen-Orient. Enfin, il a conclu un cessez-le-feu avec les houthistes au Yémen, plaçant les Israéliens devant le fait accompli. Si un président démocrate avait agi de la sorte, il y aurait eu des appels à sa destitution. »
Tandis que les opérations israéliennes sont amenées à se poursuivre, une réalité militaire s’impose : il faut des munitions très spécifiques pour éventuellement détruire des installations construites profondément sous terre, comme le site de Fordo, au cœur d’une montagne. Les Américains disposent de la bombe antibunker GBU-57. Un dilemme se dessine donc pour la Maison Blanche sur son implication, défensive ou également offensive, alors que de nombreux analystes doutent de la possibilité d’anéantir le programme nucléaire iranien.
« L’opération est une décision terrible de Nétanyahou, qui va avoir l’effet inverse de ce qui est recherché sur le plan de la prolifération, explique James Acton, expert de la question au Centre Carnegie. Cela va durcir la détermination du régime à développer l’arme nucléaire, sans le priver définitivement de ses capacités. »
James Acton doute de l’ampleur des dommages infligés au programme iranien. « Après le retrait de Trump de l’accord du JCPoA en 2018 [Joint Comprehensive Plan of Action, le plan d’action global commun], l’Agence internationale pour l’énergie atomique a perdu la possibilité de superviser toutes les centrifugeuses, qui ont été probablement dispersées dans le pays et placées dans des installations très renforcées, explique-t-il. L’Iran n’aurait même pas à en fabriquer de nouvelles. De même, malgré les scientifiques tués, les connaissances acquises sur l’enrichissement de l’uranium sont déjà largement partagées. Les Israéliens sont donc condamnés, comme on dit, à tondre la pelouse avec des frappes répétées, encore et encore, tandis que les Iraniens risquent de creuser encore plus profondément pour leurs installations. »